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27 août 2015 4 27 /08 /août /2015 20:43
Souvenirs d'un marron-compte rendu de lecture

Souvenirs d’un marron
Tome 1 : La traversée
Tome 2 : L’Affranchi


Le titre prometteur de ce roman en deux tomes paru aux Editions Madinina a attiré mon attention au cours d’une après-midi passée à la foire de Paris, et plus particulièrement dans le pavillon consacré aux cultures du Monde. Par ailleurs, le dynamisme communicatif de son auteur, Mr Jean-Charles Pamphile, m’a convaincu. L’histoire d’un adolescent trahi par les siens et déporté vers les Isles à sucre par des négriers, une atmosphère à la lisière du fantastique, tous ces éléments ne pouvaient que séduire votre serviteur, auteur de sword and soul devant l’éternel.
La lecture de ce roman a suscité en moi des réactions contrastées. Tout d’abord, contrairement à certains écrivains antillais qui se sentent obligés de s’exprimer par le biais d’une prose absconse, le style de Jean-Charles Pamphile est limpide, agréable à lire mais se refuse à tout simplisme. En apparence, le titre « souvenirs d’un marron » s’avère trompeur. Car le vieil homme incarné par le narrateur ne participe pas à des révoltes armées d’esclaves dans l’île où il a été déporté. Pour autant, à sa façon il se révolte contre un système concentrationnaire qui veut lui ôter son humanité, aliéner au plus profond de son être toute spiritualité propre à la race Noire.
Ce roman se situe dans la lignée du récit initiatique et bascule par moment dans l’onirisme et le fantastique, notamment lorsque notre conteur effectue un voyage rêvé au cœur de la Montagne sacrée ou débarque une île peut-être fantasmée. La frontière entre le réel et l’imaginaire s’estompe. Pour autant notre héros principal ne sombre pas dans la folie ou la résignation vaine ; le navire négrier et la Montagne Sacrée représentent un athanor où émerge un homme nouveau, conscient de sa mission auprès de ses compagnons d’infortune. Notre narrateur est destiné à être un « papa-feuille », pour soigner les maux physiques de ses frères en esclavage et paradoxalement de ses bourreaux, mais également (ce qui est sous-entendu) les maux psychiques.
Le narrateur est confronté à son Ombre, c’est-à-dire le dénommé Mavoumgo-mavoumgo. A ce contexte onirique et jungien de la traversée (tome 1), l’auteur nous entraîne dans un roman que je qualifierai d’alchimique. S’il confronte le lecteur aux horreurs de l’économie esclavagiste de la plantation, Jean-Charles Pamphile tente également par le biais de son « papa-feuille » de tirer le meilleur dans l’homme, même parmi les plus détestables comme l’officier en second du navire négrier ou le très antipathique et jeune « Jean-Philippe », l’héritier de la plantation où notre conteur survit dans le second tome.
Il est également question de transmission de la mémoire et des valeurs dans les rapports entre le narrateur, devenu un vieillard, et un jeune garçon qui écoute avec attention son long récit de vie.
Paradoxalement, la qualité de roman constitue sa principale faiblesse. En effet, le message qui émane de ce livre me gêne, même si l’intention est estimable, de par sa volonté sous-jacente de réconciliation entre les victimes et les tortionnaires. Comment la réconciliation entre deux communautés humaines au passé à la fois commun et antagoniste peut-elle être possible dans un contexte de domination raciale, spirituelle et économique toujours au détriment des Noirs ?
Dans son ouvrage d’une réelle et foisonnante richesse philosophique, l’auteur nous fait part, du moins selon ma propre analyse, de son désir de vivre dans une Martinique débarrassée de ses antagonismes raciaux. Ma principale réserve concerne les réactions du personnage central, le narrateur. Tout d’abord il s’exprime comme un agrégé de philosophie, ce qui peut nuire à la crédibilité de son héros. Un autre point me gêne également, à l’exception de la mise à mort de d’un officier du navire négrier surnommé « Mogod Djougou », la quasi-absence d’une colère libératrice. Pourquoi un personnage Noir de fiction doit-il être toujours mesuré dans son rapport de subordination à l’autre ? Dans le monde réel de l’histoire politique, Toussaint Louverture, Ménélik l’empereur d’Ethiopie, le franc-maçon afro-américain David Walker, Winston Churchill, Charles De Gaulle face à la philosophie du Mal incarnée tant par le colonialisme que par le nazisme n’ont pas fait preuve de modération mais bien au contraire se sont comportés en combattants jusqu’aux boutistes de la liberté. Dommage que je n’ai pas retrouvé tout au long de roman, l’esprit de cette phrase prononcée par le héros après la mort de « Mogod Djougou » :
« N’oublie pas que d’avoir pitié de la panthère c’est condamner à mort les agneaux ! »
Pour résumer « Souvenirs d’un marron » est un ouvrage initiatique, de transmutation individuelle tournée vers les autres et de transmission de la mémoire à destination des jeunes générations. Dans la lie de la période esclavagiste, Jean-Charles Pamphile a tenté de transformer le plomb de la haine en or humaniste.
Seul un livre de qualité peut motiver autant d’interrogations. Je ne peux qu’en recommander la lecture autant pour le plaisir procuré que par la réflexion qu’il engendre inévitablement.

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